La Musica Deuxième de Marguerite Duras a clôturé en 2008 la première édition du Festival Du Soleil plein la Scène, au Théâtre Studio 77, à Paris 11e, chez le metteur en scène Oscar Sisto.
Une Musica Deuxième, revisitée aujourd’hui par une mise en scène intemporelle de la passion des amants d’Evreux, et dirigée par Laetitia
Leterrier.
Une vision originale qui donne à la pièce un souffle résolument actuel, au bord de l’anticipation.
Avec Emmanuelle Grivelet-Sonier et Yannick Barnole, dans les rôles d’Anne-Marie Roche et de Michel Nollet.
Les Roches Noires, compagnie de théâtre et association d’artistes parisienne, dont le nom provient de l’ancien l’Hôtel de Trouville - où
vécut l’auteur - se lancent après dix ans d’existence théâtrale et de soutien aux artistes dans l’aventure de La Musica Deuxième.
pour voir une interview du metteur en scène
Résumé
« Ce sont des gens qui se sont aimés et qui se sont séparés. Ils sont encore jeunes. Ils ont trente ans encore, trente-cinq ans. Ils ont lu sans aucun doute. Des diplômes aussi. Ils ont été bien élevés, ils le sont restés ils en gardent cette élégance qui jamais ne se récuse. Ils sont de bonne volonté aussi, ils ont fait comme tout le monde, ils se sont mariés, ils se sont installés et puis voilà, ils ont été arrachés l’un à l’autre par les forces mauvaises de la passion. Ils ne savent pas encore qu’ils ont été eux.
Ils sont à Évreux pour le dernier acte de leur séparation, celui du jugement de divorce. Ils ne savent toujours pas ce qui leur est arrivé. Ils sont venus, chacun de leur côté, pour se revoir une dernière fois, mais cela, sans presque le vouloir. »
Marguerite DURAS
M.D. sur La Musica Deuxième :
« La turbulence, c’est le quotidien. Le vent a un créneau indifférencié. Il ne souffle pas dans le quotidien. Il souffle au fond des gens, il les emporte au fond de l’âme, dans l’âme.
Ils sont tous deux en proie à quelque chose comme ça, à une passion… pas vivre, mais de mourir de vivre. »
(Extrait de Travailler avec Duras, La Musica Deuxième », Marie-Pierre Fernandes)
Note de production
Les Roches Noires et La Musica Deuxième
J‘ai eu la chance de croiser très tôt sur mon chemin une plume remarquable qui m’a
ouverte à la musique des mots de Marguerite Duras, qui m’a éclairée sur ses
personnages féminins, qui m’a conduite jusqu’aux Roches Noires et aujourd’hui
jusqu’à La Musica Deuxième : Christiane Blot-Labarrère, qui veille sur notre aventure
avec toute sa connaissance de l’œuvre de Marguerite Duras.
La compagnie de théâtre et l’association d’artistes, Les Roches Noires - à Paris - rue
Campagne Première, existent depuis 1999, et depuis plusieurs années nous
souhaitions rapprocher le nom de l’association, qui vient de l’ancien hôtel des Roches
Noires à Trouville, à Marguerite Duras qui y vécut entre 1963 et 1996.
Nous croyons profondément à l’idée, peut-être à contre courant aujourd’hui, d’une
construction dans le temps, et que chaque étape est une pierre de vie, qu’au fond, on
ne peut pas aller plus vite que la musique de la tête et du cœur, sinon tout serait à
recommencer.
Cette année, l’opportunité du festival Du Soleil plein la Scène et l’accueil exceptionnel
que nous a réservé le Théâtre Studio 77 et Oscar Sisto, nous ont donné l’impulsion
de lancer enfin l’aventure des Roches Noires et de Marguerite Duras.
Emmanuelle GRIVELET-SONIER
Directrice générale, Les Roches Noires
Mise en scène - note d’intention
Leur couple est mort et tels des fantômes, ils errent dans le salon même qui a vu
naître leur histoire. Ce que nous goûterons de leur échange, c'est leur amour toujours
vibrant, piégé par la fatalité de la fin. En évoquant leur passé commun, ils
réinventent une réalité à travers le prisme de la mémoire. Ainsi, leurs paroles qui
semblent anodines sont lourdes des non-dits, désirs, rancœurs et regrets silencieux.
C’est cette petite musique que l’on entend derrière les mots.
L'enjeu de la mise en scène est dans l'expression des corps qui tiennent ce discours
mué, sous tendu par la tragédie de la fin. Ainsi, la tension règne tout au long du
spectacle, suivant le cours de la nuit, et tenant le public en haleine, suspendu aux
faits et gestes des personnages, porteur d'une multitudes de possibles futurs. Le
spectacle s'achève sur ce point d'interrogation laissant ouverte l’issue à l'imagination
du public.
Un acteur c’est avant tout un être humain qui fait sienne la parole d’un autre.
Le personnage naît de cette rencontre.
Laetitia LETERRIER
Création musicale - note d’intention
La Musica Deuxième met en scène deux êtres qui se sont aimés, déchirés, trompés et
trahis. Ils se retrouvent comme pour faire le bilan de leur histoire, pour ressasser
leurs bonheurs et leurs blessures du passé qui reprennent forme dans leur discours.
La Musica Deuxième, c’est aussi trois entités : une femme, un homme et le couple
qu’ils forment ou ont formé.
La musique se devra d’identifier ces trois entités, de les accompagner dans leur
souffrance, comme un spectre errant dans l’espace et le temps.
Les sons et les notes ponctueront les bonheurs et les douleurs de chacun.
Tour à tour, ils iront dans leur sens ou au contraire iront contre eux, tant la joie ou le
bonheur, la colère ou la douleur, se côtoient.
La musique sera tantôt douce et suggestive, tantôt dure et évoquant le malaise et la
colère qu’éprouvent les deux amants.
C’est à un rapport amour/haine, soulagement/regret auquel nous avons à faire et
nous nous rendons compte que peu de choses, finalement, séparent ces notions à
priori opposées.
La musique suivra ce mouvement des opposés, qui une fois assemblés, peuvent créer
un équilibre.
Deux personnages, deux temps, des mélodies et des rythmes qui reviennent sous
d’autres formes mais qui rappellent un passé lourd de passion et de haine.
Thomas LE MAZURIER
La Presse
Lors des représentations de septembre 2008 au Studio 77 (Paris)
« … La mise en
scène soignée, inventive, de Laetitia Leterrier procède de ses travaux
antérieurs sur la parole et le corps. Dans La Musica deuxième, elle a accordé, selon ses
propres mots, une attention privilégiée à « l’expression des corps »
dont le discours est « sous-tendu par la tragédie de la fin ». Celle
fin, elle l’a voulue ouverte afin que le public, jusque là suspendu aux voix
et aux mouvements des personnages, « laisse libre cours à son
imagination ».
Avant même l’arrivée de ces personnages, le décor est planté,
immuable : de larges toiles blanches en désordre recouvrent les planches -
draps froissés ou linceul des amours mortes ? –, l’éclairage est adouci et
une certaine épaisseur de silence se glisse au sein de la musique, tantôt « suggestive »,
tantôt « dure ». L’ensemble souligne les ombres portées d’une passion
ancienne, toujours présente, qui sait ? Il faut, ici, féliciter Esthel
Eghnart, scénographe et plasticienne, Quentin Rigot, créateur lumière, et
Thomas Le Mazurier, compositeur, chargé de la régie sonore. Chacun à sa façon
accompagne le texte dans une même émotion, un semblable souci de cohérence.
L’un après l’autre, apparaissent les protagonistes (costumes
créés par Clémence Grivelet et réalisés par Caroline Bugnet, évoquant le style
des années cinquante revisité avec humour). Yannick Barnole campe un homme
douloureux. Forçant parfois le ton, cédant à des rires inattendus, il demeure,
cependant, pathétique et un peu mystérieux, comme égaré. Emmanuelle
Grivelet-Sonier (par ailleurs, Directrice générale de la Compagnie ) incarne une
femme frémissante, au bord des larmes, retenue, secrète, violente,
imprévisible, avec un grand talent.
De bout en bout, les deux comédiens tiennent la juste note au
cours de leur dialogue fragile et vibrant, très proche des indications de
Duras : « Ils ont été arrachés l’un à l’autre par les forces
mauvaises de la passion. Ils ne savent pas encore qu’ils ont été eux. »* Le spectacle manifeste précisément la
visée de ces phrases énigmatiques où alternent le sens et le non-sens, la
présence du visible et les zones d’opacité, inséparables de toute rupture
amoureuse. Par là, il est d’un vif intérêt, comme en ont témoigné les
applaudissements nourris. »
(* ) M.P. Fernandes,
Travailler avec Duras, Paris : Gallimard, 1986, p. 105.
Christiane Blot-Labarrère - Bulletin de la Société Duras
« …Le décor des retrouvailles, bar d’hôtel à l’origine,
symbolise ici le lieu de la mémoire, à l’aide de draps inondant le plateau
(scénographie audacieuse d’Esthel Eghnart), faisant penser à un appartement en
travaux ou à un lit défait, peut-être aussi au paradis… En tout cas, un espace
propre à faire revivre le souvenir, dire l’attachement et recréer la fusion
passée entre ces deux amants.
Laetitia Leterrier, la metteuse en scène sait créer une
ambiance. Elle sait aussi tirer le maximum de ses comédiens qui le lui rendent
bien. Sa direction d’acteurs précise et délicate est une vraie réussite,
donnant à ce texte pas évident à jouer une réelle profondeur et une tension de
tous les instants. On ne saura jamais avant la fin ce qu’il va advenir de ce
couple qui semble autant vouloir avancer que revenir en arrière et retrouve des
traces, couleurs et fragments d’une histoire qui revit de façon onirique.
Yannick Barnole avec une sincérité confondante joue l’homme.
Vêtu de noir et d’un chapeau melon, il exploite avec talent tous les registres,
conférant à sa prestation une dimension émotionnelle rare. Emmanuelle
Grivelet-Sonier fait passer également une multitude de sentiments et son jeu à
fleur de peau, intense tout du long, est bouleversant.
Ce duo formidable nous offre un vrai cadeau d’émotion brute
dans un spectacle sublime et déchirant où il joue sans aucune fausse note la
musique d’un amour fantôme, planant pour quelques instants avant de disparaître
tout à fait. »
Nicolas Arnstam – Site
: http://www.froggydelight.com/article-5890-La_musica_deuxieme